A l’orée du verger de Tracy Chevalier

Tracy Chevalier, A l’orée du verger, Quai Voltaire / La Table Ronde, Paris, 2016

a l'orée du vergerJe connaissais Tracy Chevalier pour avoir lu il y a quelques années deux de ses romans que j’avais beaucoup aimés, La jeune fille à la perle et La dame à la licorne. Quand j’ai eu l’occasion de découvrir son dernier roman A l’orée du verger, j’ai sauté sur l’occasion de me replonger dans la plume de cet auteur. Et je n’en suis pas déçue ! Cette histoire touchante, qui mélange destins d’hommes, d’arbres et de pommes au temps des pionniers et de la conquête de l’Ouest américain m’a transportée et émue.

La famille Goodenough est installée en Ohio, dans les marais du Black Swamp depuis neuf ans. Ils ont quitté le Connecticut pour trouver des terres à cultiver, où James, le père de famille, pourrait planter des pommiers, et notamment ses adorées reinettes dorées, emmenées d’Angleterre il y a longtemps et prêtes à conquérir l’Ohio. Mais la vie n’est pas simple dans ces marais putrides, où les moustiques attaquent sauvagement pendant tout l’été, où il est difficile de ne pas attraper la fièvre, où il n’est pas rare d’y succomber. En plus de cela, il est bien difficile d’entretenir une maison entourée de boue, d’entretenir verger, cultures diverses et animaux, dans la solitude, puisque les premiers voisins sont à des kilomètres. Dans cette famille aux dix enfants, les premières décès ont déjà frappés, et les tensions sont inévitables. Sadie, la femme de James, est folle d’eau de vie de pommes, qui l’aide à combattre la fièvre, dit-elle, et pour cela elle a besoin de pommes acides. Quant à James, il raffole de ses reinettes, des pommes sucrées, et s’acharne à greffer des pommiers acides pour les transformer en pommiers qui donneront les pommes qu’il aime tant. La guerre est déclarée entre eux, pour le meilleur et pour le pire… Des années plus tard, Robert, le benjamin de la famille, celui qui était le plus silencieux et qui apprenait beaucoup avec son père, se retrouve dans l’Ouest. Depuis qu’il est parti à neuf ans, il a cherché à chaque instant à mettre son passé derrière lui, à ne plus y penser, et à tenter sa chance ailleurs. Il exercera de nombreux métiers avant d’aller voir des séquoias californiens, ces arbres immenses qui vont changer sa vie et lui permettre de panser ses plaies et de faire la paix avec son passé et le drame qui s’y est déroulé.

Voici un roman comme on en rencontre peu. L’auteur parvient à mettre au diapason nature et humanité et à nous donner envie de croquer dans une bonne pomme bien juteuse et sucrée. Si le début est un peu long, on se retrouve très rapidement enchaîné aux destins de ces personnages atypiques, durs, brisés par la vie et la rudesse de ce pays en pleine transformation, pris dans leurs faiblesses et pour qui le moindre événement qui paraîtrait insignifiant est exacerbé et amène des drames incompréhensibles. C’est un roman profondément humain, où Tracy Chevalier décortique l’âme humaine, essayant de comprendre ce qui peut amener au point de rupture, à la folie. Mais je vous rassure, elle inserre dans sa décoction un espoir immense dans le personnage de Robert, mais aussi dans celui de sa douce sœur Martha, du loufoque William Lobb, exportateur anglais de graines et de jeunes pousses d’arbres typiques de la côte californienne, ou encore de la tendre et exubérante Molly. Chaque personnage a son importance, même le plus secondaire, et chacun est construit avec un sens du détail grandiose.

Tracy Chevalier nous donne à lire un roman abouti, plein de véracité. On sent à la lecture de ce roman que ses recherches historiques ont été minutieuses. Elle inserre dans le panorama déjà large de personnages des personnalités ayant réellement existés, comme William Lobb que j’ai déjà mentionné, mais aussi John Chapman, surnommé John Appleseed, qui vendait pousses de pommiers et arbustes, et donnait le plus souvent des graines, aux pionniers qui s’installaient pour planter un verger. Cette figure historique est tout à fait atypique et savoir que cet homme a vraiment existé permet peut-être de mieux se transporter dans ce roman, imaginant sans difficulté que si un personnage aussi excentrique a pu exister, alors ceux qu’invente l’auteur ont très bien pu exister, sous une forme ou une autre. Notons également que Billie Lapham, copropriétaire de Calaveras Grove en Californie, où on pouvait admirer ces séquoias géants, a également existé, ainsi que sa femme Nancy.

Ce roman est en prime porté par une très belle écriture, poétique, douce même dans les moments les plus terribles, jamais dure et froide. Il est construit de manière originale, ce qui sert indéniablement le récit. Si on commence ce dernier à l’été 1838 dans le verger des Goodenough, alors que Martha et Robert ne sont que des enfants, on passe ensuite à une partie consacrée aux lettres envoyées par Robert, de son écriture malhabile, jusqu’en 1856, puis on revient en 1854 où on comprend comment il est retombé sous le charme des arbres et de la nature, pour revenir à l’automne 1838 et au drame familial, suivre ensuite les lettres envoyées par Martha, et terminer le récit à nouveau en 1856. Cette construction sert le suspens, et plus on apprend à connaître Robert, plus on a envie de comprendre ce qui lui est arrivé, pourquoi il a quitté sa famille si jeune. Les informations, distillées avec habileté et de manière réfléchie, nous expliquent petit à petit le caractère de Robert, ses fêlures et ses réserves, son comportement et son caractère. C’est très bien pensé, cohérent, et on se laisse prendre dans le fil du récit, par la plume de l’auteur qui parvient sans problème à alterner les passages à la troisième personne quand il s’agit de suivre James, puis Robert, à la première personne, avec un style bien plus direct quand nous suivons Sadie. L’écriture devient très veloutée pour les lettres de Martha, et le ton est plus brut et l’écriture très grossière pour les lettres de Robert. On s’y croirait réellement, le tout donne une impression de réalité forte, et il est difficile d’imaginer que ces personnages n’ont pas vraiment existés dans cette Amérique des pionniers.

Voici donc un livre important, qui nous parle avec une langue majestueuse des pionniers américains et de leurs difficultés qui les ont façonnées, de la nature et de sa majesté, qui nous entoure et nous fait rêver. Un roman magnifique.

Ma note :5/5

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.